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{Tribune} Publicité sur internet - utilisation de la marque d'un tiers - mots clefs


Un récent arrêt de la Cour d'Appel de Paris nous interpelle lorsqu'il considère qu'un annonceur ne serait pas contrefacteur lorsqu'il publie des annonces mentionnant la marque d'un tiers. (Paris Pôle 5, ch 1, 2 février 2011, n° 08/02354).

Le demandeur à l'action en contrefaçon est débouté de son action dirigée contre l'annonceur. Dans son arrêt du 2 février 2011 la Cour d'appel de Paris décide que « la sélection par l'annonceur d'un signe identique à une marque d'autrui en tant que mot-clé voué à déclencher l'affichage de son message publicitaire constitue à l'évidence un usage de ce signe dans le contexte d'une activité commerciale visant à un avantage économique, c'est-à- dire dans la vie des affaires ».

Cependant, selon la Cour d'appel de Paris, un tel usage n'est pas contrefaisant dès lors que l'internaute ne sera pas induit en erreur sur l'origine des produits. On sait que la contrefaçon de marque suppose un usage de la marque d'autrui, à titre de marque et « dans la vie des affaires » qu'on oppose à l'usage privé. Il n'y a atteinte à la marque que si le signe réputé contrefaisant est utilisé à titre de marque, c'est dire à des fins d'identification des produits ou services.

En effet selon la Cour de justice des Communautés Européennes « La fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur ou à l'utilisateur final l'identité d'origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance ». CJCE, 18 juin 2002, aff. C-299/99, Philips : Rec. CJCE 2002, I, p. 5475 ; PIBD 2003, n° 756, III, 37 (pt. 30) Il en résulte qu'un signe ne peut porter atteinte à un droit de marque, et en constituer ainsi la contrefaçon, que s'il compromet la fonction de la marque c'est-à-dire s'il «...porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque » et plus précisément à la fonction de garantie d'identité d'origine attachée à celle-ci. (CJCE, 12 nov. 2002, Arsenal. (pt. 51)

Ainsi, un acte d'exploitation d'un signe ne peut être sanctionné que s'il indique une origine et trompe en conséquence les consommateurs sur l'origine des produits ou services. Par suite lorsque le tiers utilisateur d'un signe identique ou similaire à une marque enregistrée ne revendique aucun droit de marque sur ce signe, mais en fait un usage ponctuel il faut examiner si l'internaute (le consommateur) peut être trompé sur l'origine des produits et cette appréciation doit être réalisée au regard de l'usage qui a été fait de ladite marque. « ...aux fins d'apprécier si le titulaire de la marque enregistrée est en droit de s'opposer à cet usage spécifique, il convient de se limiter aux circonstances qui caractérisent ledit usage, sans qu'il y ait lieu de rechercher si un autre usage du même signe intervenant dans d'autres circonstances serait également susceptible de créer un risque de confusion ». CJCE 12 juin 2008 (aff. C-533/06).

*L'arrêt précité du 2 février 2011 s'inscrit dans le droit fil de la décision de la Cour de Justice Européenne et de la jurisprudence de la Cour de Cassation Saisie sur question préjudicielle la Cour de Justice Européenne a rendu un arrêt le 23 mars 2010 selon lequel : L'article 5, paragraphe 1, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que le titulaire d'une marque est habilité à interdire à un annonceur de faire, à partir d'un mot clé identique ou similaire à ladite marque que cet annonceur a sans le consentement dudit titulaire sélectionné dans le cadre d'un service de référencement sur Internet, de la publicité pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque ladite publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l'internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l'annonce proviennent du titulaire de la marque ou d'une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d'un tiers » Ainsi le fait pour un annonceur de se faire référencer sur un moteur de recherche par un mot clé identique ou similaire à une marque ou au nom d'un concurrent (on fait ici référence à des entreprises qui commercialisent des produits identiques ou similaires) ne sera pas fautif si l'internaute n'est pas induit en erreur sur l'origine des produits, s'il distingue donc clairement les deux entreprises.

* C'est exactement à cette recherche que la cour d'appel de Paris a procédé dans l'affaire précitée et ce dans le cadre fixé par la décision de la Cour Européenne.

Citons un extrait de la décision du 2 février 2011 : « Considérant que la Cour de justice de l'union européenne, appelée à se prononcer le 23 mars 2010 sur une demande de décision préjudicielle concernant des faits de même nature que ceux de l'espèce (affaire C-238/08) a dit, au point 88, qu'il incombait à la juridiction nationale, d'apprécier, au cas par cas, si les faits du litige dont elle est saisie sont caractérisés par une atteinte, ou un risque d'atteinte, à la fonction d'indication d'origine (...), après avoir relevé, au point 83, que la réponse à cette question dépend en particulier de la façon dont (l') annonce est présentée ; Qu'elle a toutefois fixé les principes qui doivent guider le juge dans cette appréciation au cas par cas, et dit pour droit :lorsque l'annonce du tiers suggère l'existence d'un lien économique entre ce tiers et le titulaire de la marque, il y aura lieu de conclure qu'il y a atteinte à la fonction d'indication d'origine.(point 89) ; Lorsque l'annonce, tout en ne suggérant pas l'existence d'un lien économique, reste à un tel point vague sur l'origine des produits ou des services en cause qu'un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n'est pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui y est joint, si l'annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou, bien au contraire, économiquement lié à celui-ci, il conviendra également de conclure qu'il y a atteinte à ladite fonction de la marque. (point 90) ».

* C'est selon cette méthode d'analyse que la Cour d'appel de Paris a examiné l'affaire qui lui a été soumise et ainsi la Cour d'appel relève que : « Les mots clés XXXXXXXX, XXXX-XXX, XXXX XXX, donnent respectivement accès à une page qui présente en partie supérieure, un bandeau horizontal supportant, à gauche, le titre XXXX XXX : Prix Négociés - www. XXXX XXX.com et, à droite, le titre Liens commerciaux ; se déploie sous chacun des ces titres une colonne ; la colonne de gauche est identifiable d'emblée comme afférente aux résultats naturels de la recherche, reconnaissables en ce qu'ils contiennent en position d'attaque les signes XXXXXXXX, XXXX-XXX ou XXXX-XXX les éléments contenus dans la colonne de droite sous la bannière Liens commerciaux, sont séparés des résultats naturels par une ligne verticale bleue qui vient les délimiter sur la gauche et, au delà de cette délimitation, par un espace blanc suffisamment large pour être parfaitement perceptible ; Que la cour retient de ces éléments, que chacun des messages est suivi de l'indication(dont il convient de préciser qu'elle est en couleur) d'un nom de domaine, de telle manière que tout internaute comprend que ce nom de domaine ouvre l'accès au site internet sur lequel sont offerts à la vente les produits ou services promus par l'annonceur rien ne suggère à l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif effectuant une recherche au sujet des marques invoquées, l'existence d'un lien économique entre l'annonceur et le titulaire de ces marques ; Qu'il est à cet égard relevé : que la rubrique dédiée aux messages promotionnels est exempte de tout signe constituant une reproduction ou une imitation de la marque objet de la recherche et que, en particulier, les messages, pris en eux-mêmes, se limitent à désigner le produit promu en des termes génériques, “votre xxx” “votre xxxx” , et à promettre des remises à l'achat de ce produit, et sont ainsi dénués de toute référence explicite ou implicite à la marque ».

La Cour d'appel a donc procédé, dans son arrêt du 2 février 2011, à l'examen « in concreto » selon les critères posés par la Cour de Justice Européenne. Après un examen rigoureux des informations apparaissant sur internet après une recherche sur requête visant la marque revendiquée XXXXXXXX ou XXXX-XXX, la Cour a conclu à l'absence de risque de confusion, l'internaute ( le consommateur) ne pouvant pas être induit en erreur sur l'origine des produits.

* Dans ses trois arrêts du 13 juillet 2010 (08-13944 ; 06-20230 ; 06-25136) la Cour de cassation avait également décidé que le prestataire de service de référencement qui se contente de stocker des mots clés et d'afficher des messages d'annonces publicitaires ne commet pas d'acte de contrefaçon sauf si la présentation qui est faite de l'annonce ne permet pas à l'internaute, de savoir si l'annonceur était lié ou non au titulaire de la marque. Les arrêts de la Cour de justice ont été rendus à propos d'un prestataire de référencement et il est de même des trois arrêts précités rendus le 13 juillet 2010 par la Cour de Cassation. En revanche l'arrêt de la Cour d'appel du 2 février 2011 concernait un annonceur lequel avait réservé les marques de son concurrent dans le système « adwords » de Google. Et selon la Cour d'appel il s'agit bien d'un usage de la marque d'autrui dans la vie des affaires.

* La protection de la marque sera certainement plus difficile dès lors qu'un annonceur pourra, dans le système adwords, réserver des mots clés constitutifs de marques de tiers, qui renverront les internautes notamment vers son « lien commercial ». Le titulaire de la marque ne pourra agir sur le fondement de la contrefaçon qu'à condition de démontrer que l'internaute risque d'être induit en erreur sur l'origine des produits ou de croire que les entreprises sont économiquement liées. Cette évolution semble conforme au développement de l'e-commerce.

La « toile » est totalement assimilée à un lieu commercial (la rue, le marché, le centre commercial) où le consommateur (l'internaute) a accès à tous les produits et à toutes les marques mais ne doit pas être induit en erreur sur l'origine des produits. On déduit de cet arrêt que pour la protection de leurs marques, leurs titulaires ont le plus grand intérêt à être vigilants et surveiller les modalités d'usage de celle-ci sur internet puisque dorénavant tout est question de « risque de confusion ». Mais précisément c'est ce constat qui pose problème dans la mesure où les marques revendiquées ont bien été réservées auprès de Google (système adwords) par la société poursuivie en contrefaçon alors que ces marques ne sont pas génériques.

Si la société poursuivie avait déposé les marques en question à l'INPI elle aurait été jugé contrefacteur de ce simple fait sans qu'il soit nécessaire que ce simple dépôt puisse induire en erreur le consommateur, selon la Cour de Cassation : « Le dépôt de la marque seconde constitue un acte d'usage non autorisé de la marque première et par là même un acte de contrefaçon portant préjudice au premier déposant » Cass. com., 26 nov. 2003 : PIBD 2004, n° 780, III, p. 99. Et il en est de même si elle avait déposé lesdites marques à titre de nom de domaine. (Cass. com., 13 déc. 2005 : Bull. civ. 2005, IV, n° 254 ; D. 2006, act. jurispr., p. 63, obs. Manara ; Comm. com. électr. 2006, comm. 21, Ch. Caron.

On reste donc perplexe : n'est pas contrefaisant l'usage par un annonceur (et le plus souvent un concurrent) « dans la vie des affaires » de la marque d'autrui, au titre de la réservation de mots clés auprès du prestataire de référencement, si l'internaute ne peut se méprendre sur l'origine des produits. C'est réduire considérablement le champ de protection des marques et internet aura eu raison des droits de propriété Intellectuels.

Mais nous veillons....

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